Dans le recueil Pavot et mémoire, traduit par Valérie Briet (Christian Bourgois), une étrange interprétation du dernier vers de ce poème (mon édition date de 1987; la traduction a peut-être été rectifiée depuis):
Das ganze Leben
Die Sonnen des Halbschlafs sind blau wie dein Haar eine Stunde vor Morgen.
Auch sie wachsen rasch wie das Gras überm Grab eines Vogels.
Auch sie lockt das Spiel, das wir spielten als Traum auf den Schiffen der Lust.
Am Kreidefelsen der Zeit begegnen auch ihnen die Dolche.
Die Sonnen des Tiefschlafs sind blauer: so war deine Locke nur eimal:
Ich weilt als ein Nachtwind im käuflichen Schoss deiner Schwester;
dein Haar hing im Baum über uns, doch warst du nicht da.
Wir waren die Welt, und du warst ein Gesträuch vor den Toren.
Die Sonnen des Todes sind weiss wie das haar unsres Kindes:
es stieg aus der Flut, als du aufschlugst ein Zelt auf der Düne.
Es zückte das Messer des Glücks über uns mit erloschenen Augen.
Toute la vie
Les soleils des demi-sommeils sont bleus comme tes cheveux une heure avant le jour.
Eux aussi poussent vite comme l'herbe sur la tombe d'un oiseau.
Eux aussi sont pris dans notre jeu, joué comme un rêve sur les bateaux des plaisirs.
Aux falaises crayeuses du temps les poignards les rencontrent aussi.
Les soleils des sommeils profonds sont plus bleus: ta boucle ne fut telle qu'une seule fois:
Je m'attardais comme un vent de nuit au sein vénal de ta soeur;
tes cheveux étaient à l'arbre au-dessus de nous, mais tu n'étais pas là.
Nous étions le monde, et tu étais un arbuste devant les porches.
Les soleils de la mort sont blancs comme les cheveux de notre enfant:
hors des hautes eaux il s'éleva quand tu dressas une tente sur la dune.
Il brandit sur nous le couteau du bonheur aux yeux éteints.
Pour le dernier vers
"Les yeux éteints, il brandit sur nous le couteau du bonheur."
me paraît plus correct et beaucoup plus naturel.
Une troisième interprétation, signalée par Hugo Bekker ("Paul Celan: Studies in His Early Poetry", Amsterdamer Publikationen zur Sprache und Litteratur), fait de "Es" une apposition à "das Messer des Glücks" et donnerait quelque chose comme:
"Sur nous, aux yeux éteints, il se lève, le couteau du bonheur."
Un peu tiré par les cheveux, quand même.
Ecouter Celan lire ses poèmes dissipe vite le caractère "énigmatique" de son écriture, la crainte de passer "à côté" d'un sens caché. C'est bien une langue que Celan invente, pas une collection de rébus. La claire césure
"Es zückte das Messer des Glücks über uns [ ] mit erloschenen Augen."
me paraît plus en accord avec
"Les yeux éteints, [ ] il brandit sur nous le couteau du bonheur."
Les occasions d'entendre Paul Celan dire ses poèmes sont trop rares; un double CD ("Ich hörte sagen") est disponible en écoute ici.
Excellent site, au demeurant.
Das ganze Leben
Die Sonnen des Halbschlafs sind blau wie dein Haar eine Stunde vor Morgen.
Auch sie wachsen rasch wie das Gras überm Grab eines Vogels.
Auch sie lockt das Spiel, das wir spielten als Traum auf den Schiffen der Lust.
Am Kreidefelsen der Zeit begegnen auch ihnen die Dolche.
Die Sonnen des Tiefschlafs sind blauer: so war deine Locke nur eimal:
Ich weilt als ein Nachtwind im käuflichen Schoss deiner Schwester;
dein Haar hing im Baum über uns, doch warst du nicht da.
Wir waren die Welt, und du warst ein Gesträuch vor den Toren.
Die Sonnen des Todes sind weiss wie das haar unsres Kindes:
es stieg aus der Flut, als du aufschlugst ein Zelt auf der Düne.
Es zückte das Messer des Glücks über uns mit erloschenen Augen.
Toute la vie
Les soleils des demi-sommeils sont bleus comme tes cheveux une heure avant le jour.
Eux aussi poussent vite comme l'herbe sur la tombe d'un oiseau.
Eux aussi sont pris dans notre jeu, joué comme un rêve sur les bateaux des plaisirs.
Aux falaises crayeuses du temps les poignards les rencontrent aussi.
Les soleils des sommeils profonds sont plus bleus: ta boucle ne fut telle qu'une seule fois:
Je m'attardais comme un vent de nuit au sein vénal de ta soeur;
tes cheveux étaient à l'arbre au-dessus de nous, mais tu n'étais pas là.
Nous étions le monde, et tu étais un arbuste devant les porches.
Les soleils de la mort sont blancs comme les cheveux de notre enfant:
hors des hautes eaux il s'éleva quand tu dressas une tente sur la dune.
Il brandit sur nous le couteau du bonheur aux yeux éteints.
Pour le dernier vers
"Les yeux éteints, il brandit sur nous le couteau du bonheur."
me paraît plus correct et beaucoup plus naturel.
Une troisième interprétation, signalée par Hugo Bekker ("Paul Celan: Studies in His Early Poetry", Amsterdamer Publikationen zur Sprache und Litteratur), fait de "Es" une apposition à "das Messer des Glücks" et donnerait quelque chose comme:
"Sur nous, aux yeux éteints, il se lève, le couteau du bonheur."
Un peu tiré par les cheveux, quand même.
Ecouter Celan lire ses poèmes dissipe vite le caractère "énigmatique" de son écriture, la crainte de passer "à côté" d'un sens caché. C'est bien une langue que Celan invente, pas une collection de rébus. La claire césure
"Es zückte das Messer des Glücks über uns [ ] mit erloschenen Augen."
me paraît plus en accord avec
"Les yeux éteints, [ ] il brandit sur nous le couteau du bonheur."
Les occasions d'entendre Paul Celan dire ses poèmes sont trop rares; un double CD ("Ich hörte sagen") est disponible en écoute ici.
Excellent site, au demeurant.
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