"Au-delà du bonheur de la formulation, on dirait qu'il manipule bien plus la peur de la masse immonde et flatte l'élite éclairée qu'il ne recherche les vertus de la lucidité comme moteur d'action. A la limite de l'arrogance vaine et gratuite. "
La même chose a pu être dite, avec quelque raison mais en des temps plus radicaux qui voyaient l'avant-garde conquérir le centre du pouvoir quand bien même ce ne serait que pour l'anéantir et anéantir l'idée même de pouvoir, de Debord ou Vaneigem; je n'y souscris pas pour de Bodinat dont je crois la perspective assez différente.
Ce n'est pas la masse immonde opposée à l'élite éclairée qui est au coeur du livre mais comment la progressive anesthésie des sens sous le bombardement des stimuli du spectacle produit une masse indifférenciée là où des individualités existaient et que ce phénomène est absolument général; voir en particulier le maniement systématique du "nous" comme englobant aussi le locuteur (le "je") et l'englobant même en premier puisque c'est à partir des observations de ses propres comportements que le locuteur tire des conclusions sur "nous". Je pense en particulier à ce passage vers la fin du livre où brossant quelques portraits de la génération née au début du XXème, le locuteur prend appui sur sa propre gène vis-à-vis d'eux (sur son propre manque de délicatesse, d'enracinement) pour en tirer la conclusion que face à ces gens "nous" sommes des barbares, de même que les générations qui nous suivent nous apparaissent aussi comme des barbares. C'est ce mouvement de désindividualisation par le parasitage du contact avec le monde sensible que ce livre interroge, opposant au réseau de stimuli qui nous entoure quotidiennement une barrière finement tissée de citations et références, exercice qui pourrait paraître de vaine érudition mais qui, me semble-t-il, ne dérange aucunement la lecture de qui ne souhaiterait pas suivre ces indications vers d'autres ouvrages.
Un reproche analogue au Foucault des dernières années, pour sa description clinique de l'enchvêtrement apparemment inextricable et par là invincible (toujours déjà là) de la société de surveillance. Et pourtant, Foucault montre aussi que le pouvoir est toujours en train de se constituer, qu'il est donc en permanence à conquérir sur tous les plans où il se déploie. Une perspective de guerre permanente et totale, loin de l'image qu'on a pu donner parfois du philosophe saisi par la fascination des mécanismes d'assujettissement.
Debord et de Bodinat proposent une vision plus isolationniste de l'action, prônant (explicitement pour Debord, en creux, me semble-t-il, pour de Bodinat) le retrait volontaire pour éviter l'absorption par le spectacle.
Retrait ne signifie toutefois pas inaction mais reconnaissance que les voies traditionnelles de l'action collective (occuper le Centre) sont désormais à ce point engluées qu'il est essentiel de prendre du recul par rapport à ces modes d'action, pas par rapport à l'action elle-même. Le retour à la marge figure en quelque sorte le degré zéro de la lucidité.
Mieux vaut retrouver les paradoxes de la dialectique de la marge et du centre, dialectique qui laisse au moins un espace à faire jouer, que de sombrer toujours plus profondément dans une impuissance frénétique qui se nourrit de son propre commentaire.
"L’imposture de la satisfaction doit se dénoncer elle-même en se remplaçant, en suivant le changement des produits et celui des conditions générales de la production. Ce qui a affirmé avec la plus parfaite impudence sa propre excellence définitive change pourtant, dans le spectacle diffus mais aussi dans le spectacle concentré, et c’est le système seul qui doit continuer : Staline comme la marchandise démodée sont dénoncés par ceux-là mêmes qui les ont imposés. Chaque nouveau mensonge de la publicité est aussi l’aveu de son mensonge précédent. Chaque écroulement d’une figure du pouvoir totalitaire révèle la communauté illusoire qui l’approuvait unanimement, et qui n’était qu’un agglomérat de solitudes sans illusions." (Guy Debord in La société du spectacle)
La même chose a pu être dite, avec quelque raison mais en des temps plus radicaux qui voyaient l'avant-garde conquérir le centre du pouvoir quand bien même ce ne serait que pour l'anéantir et anéantir l'idée même de pouvoir, de Debord ou Vaneigem; je n'y souscris pas pour de Bodinat dont je crois la perspective assez différente.
Ce n'est pas la masse immonde opposée à l'élite éclairée qui est au coeur du livre mais comment la progressive anesthésie des sens sous le bombardement des stimuli du spectacle produit une masse indifférenciée là où des individualités existaient et que ce phénomène est absolument général; voir en particulier le maniement systématique du "nous" comme englobant aussi le locuteur (le "je") et l'englobant même en premier puisque c'est à partir des observations de ses propres comportements que le locuteur tire des conclusions sur "nous". Je pense en particulier à ce passage vers la fin du livre où brossant quelques portraits de la génération née au début du XXème, le locuteur prend appui sur sa propre gène vis-à-vis d'eux (sur son propre manque de délicatesse, d'enracinement) pour en tirer la conclusion que face à ces gens "nous" sommes des barbares, de même que les générations qui nous suivent nous apparaissent aussi comme des barbares. C'est ce mouvement de désindividualisation par le parasitage du contact avec le monde sensible que ce livre interroge, opposant au réseau de stimuli qui nous entoure quotidiennement une barrière finement tissée de citations et références, exercice qui pourrait paraître de vaine érudition mais qui, me semble-t-il, ne dérange aucunement la lecture de qui ne souhaiterait pas suivre ces indications vers d'autres ouvrages.
Un reproche analogue au Foucault des dernières années, pour sa description clinique de l'enchvêtrement apparemment inextricable et par là invincible (toujours déjà là) de la société de surveillance. Et pourtant, Foucault montre aussi que le pouvoir est toujours en train de se constituer, qu'il est donc en permanence à conquérir sur tous les plans où il se déploie. Une perspective de guerre permanente et totale, loin de l'image qu'on a pu donner parfois du philosophe saisi par la fascination des mécanismes d'assujettissement.
Debord et de Bodinat proposent une vision plus isolationniste de l'action, prônant (explicitement pour Debord, en creux, me semble-t-il, pour de Bodinat) le retrait volontaire pour éviter l'absorption par le spectacle.
Retrait ne signifie toutefois pas inaction mais reconnaissance que les voies traditionnelles de l'action collective (occuper le Centre) sont désormais à ce point engluées qu'il est essentiel de prendre du recul par rapport à ces modes d'action, pas par rapport à l'action elle-même. Le retour à la marge figure en quelque sorte le degré zéro de la lucidité.
Mieux vaut retrouver les paradoxes de la dialectique de la marge et du centre, dialectique qui laisse au moins un espace à faire jouer, que de sombrer toujours plus profondément dans une impuissance frénétique qui se nourrit de son propre commentaire.
"L’imposture de la satisfaction doit se dénoncer elle-même en se remplaçant, en suivant le changement des produits et celui des conditions générales de la production. Ce qui a affirmé avec la plus parfaite impudence sa propre excellence définitive change pourtant, dans le spectacle diffus mais aussi dans le spectacle concentré, et c’est le système seul qui doit continuer : Staline comme la marchandise démodée sont dénoncés par ceux-là mêmes qui les ont imposés. Chaque nouveau mensonge de la publicité est aussi l’aveu de son mensonge précédent. Chaque écroulement d’une figure du pouvoir totalitaire révèle la communauté illusoire qui l’approuvait unanimement, et qui n’était qu’un agglomérat de solitudes sans illusions." (Guy Debord in La société du spectacle)
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