Et autour de la table, nous, vivants,
nous mangions, et nous parlions, en cette nuit étrangère,
et nos ombres sur les murs
bougeaient, pelotonnées comme nous,
et gesticulaient, sans voix.
Nous étions doubles, nous étions triples, nous étions tremblants,
à la lumière des lampes à acétylène,
sur les murs séculaires, denses, froids,
et vaguement monumentaux.
Plus encore que les ombres nous étions irréels.
Nous savions que la nuit était un jardin plein de neige et de loups.
Et nous étions contents d’être vivants, entre les vins et les braises,
très loin du monde,
de toutes les présences vaines,
enveloppés de tendresse et de laines.
Aujourd’hui je m’interroge sur le singulier destin
des ombres qui ont bougé ensemble, sur les mêmes murs...
Oh, elles, sans nostalgie, sans demande, sans réponse...
Si fluides ! S’enlaçant et se perdant en l’air...
Sans yeux pour pleurer...
Cecília Meireles, traduit du portugais par Philippe Billé
("Nós e as sombras", de Mar absoluto e outros poemas, 1945)
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